Mobilisation pour les femmes du 93
Le monde.fr du 28 janvier 2008
Laureen Ortiz
Elles sont en général caissières ou aides à domicile... Une vocation ? Plutôt un "problème d'orientation", répondent certaines habitantes de la Seine-Saint-Denis, qui désirent se reconvertir après s'être engagées dans ces deux filières. Dans ce département du nord de la banlieue parisienne, où le taux de chômage est supérieur de trois points à celui de la moyenne nationale (11,2 % fin 2006 selon l'Insee), les deux tiers des femmes exercent seulement six métiers : secrétaire, femme de ménage, infirmière, aide à domicile, caissière, institutrice.
Taylan Coskun, collaborateur du vice-président du conseil général chargé de l'emploi, estime, lui aussi, que "ces femmes sont les victimes du système d'orientation". Pour y remédier, le département a décidé d'organiser à Montreuil, le 31 janvier et le 1er février, les Assises de l'emploi féminin, où sera notamment discutée la question de l'égalité dans l'orientation et la formation professionnelle. Un rendez-vous - où une quarantaine d'entreprises et d'organismes de formation devraient être présents - censé "élargir l'éventail des métiers possibles", poursuit M. Coskun.
A la mission locale de Saint-Denis, qui aide les 16-25 ans à trouver du travail, "la plupart des filles cherchent à travailler dans la petite enfance, note une conseillère, mais pour vraiment les aider, il faut - et c'est évidemment paradoxal - commencer par déconstruire leur projet ". Sinon, s'engageant dans une impasse, elles peuvent se retrouver au chômage pour une longue période. A l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), Dominique Clochon, directrice de l'antenne départementale de l'agence, constate que "la baisse du chômage depuis 2004 a bénéficié plus fortement aux hommes qu'aux femmes, cet écart étant très marqué chez les plus de 50 ans". Le phénomène n'est guère étonnant, car les secteurs en tension - ceux qui embauchent ou connaissent une pénurie de main-d'oeuvre - sont occupés en grande partie par des hommes : le bâtiment, les transports ou la restauration. Les habitantes de la Seine-Saint-Denis - comme beaucoup d'autres femmes sur le marché du travail national - continuent donc de rechercher des emplois d'aide à domicile ou de secrétaire. Les personnes qui guettent ces offres sont à 98 % des femmes, indique Mme Clochon. Mais cette concentration féminine fonctionne comme une trappe à chômage : nombreuses à frapper à des portes qui ne s'ouvrent pas, les femmes gonflent les rangs de chômeurs. "On compte 55 % de femmes inscrites contre 45 % d'hommes à la mission locale de Saint-Denis", tandis qu'à celle de Montreuil, "elles sont 51 % contre 49 %". "Les femmes sont devenues majoritaires parmi nos inscrits. La situation s'est inversée depuis cinq ans, explique Martine Godart, coordinatrice emploi à la mission locale de Montreuil. Pourtant, elles sont plus diplômées que les garçons." Et sur le marché du travail, elles n'occupent que 37 % des emplois du département.
Cette situation s'explique d'abord par une série des handicaps propres au département. Parmi eux, la discrimination à l'embauche pour ceux ou celles issus de l'immigration. Autre difficulté : la population de la Seine-Saint-Denis souffre d'un "déficit de formation" qui freine l'accès à l'emploi. La question de la mobilité est aussi un enjeu, le coût des transports - notamment pour se déplacer de banlieue à banlieue - est souvent rédhibitoire. Les femmes cumulent d'autres contraintes. Première d'entre elles : la garde des enfants. "99 % des allocataires parents isolés en Seine-Saint-Denis sont des femmes", relève Mme Clochon. Il faut aussi évoquer la question de la violence conjugale, note une conseillère de la mission locale de Saint-Denis. L'érosion du chômage dans le département masque également une autre réalité : la progression du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI), passé de 45 000 à 51 400 en deux ans, et la baisse du nombre de contrats à durée indéterminée au profit de l'emploi intérimaire ou à temps partiel. Une forme de précarité qui touche avant tout les femmes.
Pour ces raisons, et parce qu'elles y voient un atout commercial, des entreprises s'efforcent d'attirer des candidates. La section locale de la Régie des transports parisiens (RATP), où une minorité des conducteurs sont des femmes (7 %), espère ainsi changer la donne. "Des équipes mixtes, c'est plus agréable, pour les clients et pour les salariés", confie Marie-Pascale Bayart, responsable prévention urbaine à la RATP 93.