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29 janvier 2008

Christine Lagarde : Je ne pensais pas que la fonction de ministre de l'Economie serait aussi chronophage

L’expansion.com du 21 novembre 2007
Marc Landré

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris lorsque vous êtes devenue ministre de l’Economie le 19 juin ?

La multiplicité des champs couverts, très vaste, est passionnante et étonnante. Il faut passer de la sphère internationale avec les réunions du FMI, de la Banque mondiale et du G7 à l’échelon européen, avec les réunions de l’Ecofin ou les partenaires de l’Eurozone, puis à l’échelon national avec des thématiques comme la consommation, l’industrie, les PME, l’énergie, les banques, l’assurance, l’attractivité de la place de Paris et encore l’emploi, la formation professionnelle ou le tourisme. Le périmètre de mon ministère est différent de ce qu’ont pu connaître mes prédécesseurs. Le Budget est indépendant et Eric Woerth n’a pas de comptes à me rendre, même si nous dialoguons évidemment beaucoup.
Un autre enjeu réside dans l’intégration entre le volet Economie et le volet Emploi et Formation professionnelle, qui n’y a jusqu’à présent jamais figuré, alors que les sujets sont naturellement étroitement liés. La politique industrielle est en lien avec la politique de l’Emploi, ce qui devrait permettre, notamment par le point de passage qu’est la formation professionnelle, de parvenir à une véritable cohérence. Mais Grenelle et Bercy, ce ne sont pas les mêmes maisons, les mêmes cultures, les mêmes histoires, les mêmes statuts et il y a un point de convergence et un équilibre à trouver. Il va falloir progressivement construire une identité commune, chacun ayant apporté sa diversité. C’est en faisant se rencontrer les gens et travailler ensemble dans les réunions que l’on parviendra à former le couple Economie-Emploi. Et sur le plan géographique, en réunissant toutes les équipes sur place au 1er janvier 2008.

Comment faites-vous face à cette multiplicité ?

En travaillant beaucoup. Sur la loi Travail, emploi et pouvoir d’achat, j’ai été nommée le mardi 19 juin au matin, j’ai ouvert le dossier à 16h et on a travaillé toute la nuit pour présenter le projet de loi le lendemain matin en conseil des ministres, avant de dérouler ensuite au Parlement en discussion générale. J’ai besoin de comprendre ce que je défends, ce qui demande beaucoup de travail. Ce qui était important pour le conseil des ministres, c’était de comprendre les grands principes du projet de loi. Si vous travaillez 12 heures d’arrache pied avec une bonne équipe, vous comprenez les équilibres et les grands principes. Avec du travail, on arrive à tout. Il faut y passer la nuit et souvent sauter les week-end.

Qu’avez-vous sacrifié pour ce poste ?

Des morceaux de vie de famille, une vie sociale. Je suis par exemple infichue de vous dire quel est le dernier film que j’ai vu. Je n’ai pas beaucoup le temps de lire et je ne suis pas allée au théâtre depuis des lustres. Je ne pensais pas que la fonction de ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi serait aussi chronophage. J’étais très prise lorsque j’étais au Commerce extérieur parce que je passais 60% de mon temps hors de France. Mais lorsque j’étais là, j’étais disponible pour ce que j’avais prévu de faire. A l’Economie, c’est différent : on appréhende peu la variété et la multiplicité des chantiers.

Vous ne vous plaignez jamais…

Il ne faut pas trop s’écouter. Se plaindre ne sert pas à grand-chose. Quand vous vous plaignez, les gens autour de vous sont malheureux et ne vous soutiennent pas. J’essaye d’évacuer les mauvais côtés pour donner un peu de positif autour de moi car, pour comprendre les dossiers, il faut que les gens autour de vous aient du plaisir à travailler.

Qu’avez-vous amené du privé à Bercy ?

Probablement des relations plus directes. Un management plus direct que celui auquel, je crois, était habitué cette maison dont les relations étaient plus protocolaires, plus hiérarchiques. Quand j’ai besoin de parler à mes homologues étrangers, je les appelle moi-même sur leur portable. Je vais moi-même chercher les personnes avec qui j'ai rendez-vous. Chaque fois que je peux prendre des raccourcis pour gagner du temps, je le fais. Le sens de l’urgence, le sens du temps, je l’ai sûrement amené avec moi.

Comment vivez-vous la mission que vous ont confiée le président de la République et le Premier ministre ?

Avec fierté et détermination. Avec fierté, parce que j’éprouve un grand sentiment de fierté que le Président de la République et le Premier ministre aient pensé à moi pour conduire cette mission. Avec détermination, parce que le défi qui m’a été confié est incroyablement ambitieux et qu’il ne faut jamais lâcher, qu’il faut sans cesse se demander si toutes les mesures prises, toutes les réformes, vont donner de la croissance en plus, libérer de l’énergie, favoriser l’emploi, améliorer la productivité des entreprises, renforcer les compétences des salariés. C’est un travail de longue haleine.

Pas un peu de peur face à l’enjeu ?

Non. Ce n’est pas dans ma nature d’avoir peur.

Imaginiez-vous que le moindre de vos propos allait être analysé et commenté, quitte à provoquer des tempêtes médiatiques ?

La première fois, juste après avoir été nommée ministre délégué au Commerce extérieur, non. Je débarquais d’une autre planète, à tous égards : les Etats-Unis, le privé, une firme internationale dans le secteur des services. Je réponds à une simple question sur le Code du Travail et c’était parti… Je ne savais pas à l’époque qu’un ministre ne devait pas répondre à des questions dont la compétence revenait à un autre ministre. Depuis, j’ai appris.

Pourtant, certains continuent à assimiler vos sorties médiatiques à des gaffes. Je pense au désormais célèbre « plan de rigueur » ou à votre hésitation pendant l’été quant à la vigueur de la croissance en 2008.

J’ai une responsabilité vis-à-vis des Français et je ne vais pas avoir un langage destiné à faire plaisir. Je dois tenir un langage d’honnêteté vis-à-vis des objectifs qui me sont fixés. Je regrette que certains aient mal interprété mes propos. Mais le caractère rigoureux de notre gestion est évident. Je ne vais pas vanter le laxisme des finances publiques ni le laxisme avec lequel on gère la fonction publique ou le bien public. Je n’ai pas de regret et je suis aussi comptable de cette vérité-là.

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Commentaires
A
Interview très intéressante, merci Mireille !<br /> Elle parle de façon très claire de son travail, et aussi des côtés humains qui y sont associés : les nuits qui y passent, l'emploi du temps qui s'emballe à un point qu'elle n'imaginait pas...<br /> Oui, très humaines ses réponses, je trouve...
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